Jurisprudence
Vendredi 31 JanL’employeur est-il tenu d’organiser une visite médicale de reprise lorsqu’il est informé du classement du salarié en invalidité 2ème catégorie ?
Oui !
Une personne peut être classée en invalidité par le médecin-conseil de la Sécurité sociale, sous certaines conditions. L’invalidité permet à l’assuré, lorsque l’état de santé le justifie et qu’il a une réduction importante de sa capacité de travail d’au moins deux tiers, de bénéficier d’une pension d’invalidité de la Sécurité sociale. Il existe trois catégories d’invalidité dans lesquelles l’assuré peut être classé.
L’invalidité est notion relevant du droit de la Sécurité sociale et est décidée par le médecin conseil de la Sécurité sociale compte tenu de l’état de santé général de l’assuré.
En principe, elle n’impacte pas directement la relation de travail. En effet, l’invalidité ne doit pas être confondue avec la notion d’inaptitude qui relève du droit du travail.
Contrairement à l’invalidité, l’inaptitude tient compte de l’état de santé du salarié, de ses fonctions occupées, ses conditions de travail après étude du poste, des possibilités d’aménagement du poste de travail, etc.
La notion d’inaptitude et celle d’invalidité sont indépendantes et l’une ne s’impose pas à l’autre.
Aussi, seul le médecin du travail peut se prononcer sur l’aptitude ou non d’un salarié à occuper ou reprendre son poste de travail.
A ce titre, lorsqu’il en est informé, l’employeur ne peut pas considérer comme inapte un salarié classé dans une catégorie d’invalidité ou entamer automatiquement une procédure de rupture du contrat de travail pour ce motif, sans avis d’inaptitude du médecin du travail.
Le classement en invalidité ne constitue pas un motif de licenciement ou un évènement mettant fin à la suspension du contrat de travail du salarié.
En revanche, lorsque le salarié informe l’employeur de son classement en invalidité 2ème catégorie, sans manifester la volonté de ne pas reprendre le travail, il appartient à l’employeur de prendre l’initiative de faire procéder à une visite médicale de reprise auprès de la médecine du travail.
Cette obligation s’impose à l’employeur même si le salarié ne demande pas à bénéficier de la visite médicale de reprise ou s’il est en arrêt, dès lors qu’il ne pas manifeste pas sa volonté de ne pas reprendre le travail.
C’est ce qu’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt en date du 18 décembre 2024.
En l’espèce, une salariée avait agi en justice pour demander des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, la résiliation judiciaire de son contrat et diverses indemnités. Elle reprochait à l’employeur de n’avoir pas organisé de visite médicale de reprise alors qu’elle l’avait informé de son classement en invalidité 2ème catégorie et n’avait pas manifesté la volonté de ne pas reprendre le travail. Les juges du fond avaient rejeté ses demandes. Pour les juges, la salariée ne pouvait pas reprocher à l’employeur une absence de reclassement sur un autre poste durant son arrêt maladie, qui perdurait toujours, alors que la mise en œuvre d’une mesure de reclassement supposait un avis d’inaptitude donné dans le cadre de la visite de reprise qui aurait eu lieu lorsque l’arrêt de travail se terminerait, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. La salariée avait formé un pourvoi en cassation pour contester cette décision.
La Cour de cassation a censuré la décision des juges. Elle rappelle que, dès lorsque le salarié informe son employeur de son classement en invalidité de 2ème catégorie sans manifester la volonté de ne pas reprendre le travail, il appartient à celui-ci de prendre l’initiative de faire procéder à une visite de reprise, laquelle met fin à la suspension du contrat de travail.
Ainsi, dès lors que l’employeur est informé du classement en invalidité 2ème catégorie par un salarié, il doit organiser la visite médicale de reprise auprès de la médecine du travail, sauf si le salarié manifeste clairement et sans équivoque sa volonté de ne pas reprendre le travail.
Consulter l’arrêt de la Cour de cassation du 18 décembre 2024 : https://www.courdecassation.fr/decision/67626dd6d9347f6c9aef80c6?search_api_fulltext=23-16280&op=Rechercher&date_du=&date_au=&judilibre_juridiction=all&previousdecisionpage=&previousdecisionindex=&nextdecisionpage=&nextdecisionindex=
Clause de non-concurrence : perte de l’indemnité après le constat de la violation de la clause
Afin de prévenir des atteintes aux intérêts légitimes de son entreprise, l’employeur peut prévoir, sous certaines conditions, une clause de non-concurrence dans le contrat de travail de ses salariés
La clause de non-concurrence insérée dans un contrat de travail vise à limiter la liberté d’un salarié d’exercer des fonctions équivalentes chez un concurrent ou à son propre compte après la rupture de son contrat de travail.
La clause de non-concurrence n’est pas légalement définie mais a été précisée et encadrée par la jurisprudence. Ainsi, pour qu’elle soit applicable, cette clause doit répondre à certains critères cumulatifs qui conditionnent sa validité.
En effet, pour être valable, la clause de non-concurrence doit respecter les critères suivants :
- être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise ;
- être limitée dans le temps et dans l’espace. Sa durée ne doit pas être excessive et elle doit prévoir une zone géographique précise ;
- prévoir une contrepartie financière raisonnable versée au salarié par son employeur, lors de la rupture du contrat de travail (non pas durant la relation de travail) ;
- tenir compte des spécificités de l’emploi du salarié.
Ces conditions doivent être réunis cumulativement pour que la clause de non-concurrence soit licite. Ils sont soumis, en cas de contestation, à l’appréciation souveraine des juges.
Si ces critères ne sont pas réunies, la clause est nulle et ouvre droit à des dommages et intérêts pour le salarié.
La clause de non-concurrence s’applique soit à la date effective de la fin de contrat (à l’issue du préavis), soit lors du départ du salarié en cas de dispense de préavis.
Lorsqu’il souhaite la mettre en application, l’employeur doit verser au salarié la contrepartie prévue. Cette contrepartie ou l’indemnité compensatrice prévue doit être versée par l’employeur à la fin du contrat de travail ou lors de sa rupture. Ainsi, la contrepartie ne peut pas être versée pendant l’exécution du contrat de travail mais uniquement lorsqu’il est rompu ou prend fin.
Dès lors le salarié sera tenu de respecter cet engagement. A défaut, l’employeur peut interrompre le versement de la contrepartie et engager une procédure à l’encontre du salarié pour demander des dommages et intérêts.
Dans un arrêt en date du 18 décembre 2024, la Cour de cassation a retenu que la perte du droit à l’indemnité de non-concurrence ne vaut que pour l’avenir et qu’à compter du jour où la violation de l’obligation de non-concurrence a été constatée.
En l’espèce, un salarié avait agi en justice pour demander le paiement le complément de l’indemnité de non-concurrence. L’employeur avait cessé le paiement de l’indemnité de non concurrence et réclamait au salarié les sommes versées depuis la rupture du contrat de travail.
Le salarié percevait l’indemnité de non-concurrence depuis la rupture de son contrat de travail.
Quelques mois après et pendant la durée de validité de la clause, il avait créé une société concurrente à l’employeur et violé la clause de non-concurrence. Les juges du fond avaient condamné le salarié à payer à l’employeur diverses sommes au titre de la violation de la clause de non-concurrence et au titre de la clause pénale, y compris pour la période antérieure à la création de son entreprise. Ils avaient retenu que dès lors que le salarié avait violé l’obligation de non-concurrence, il devait rembourser toutes les sommes perçues à l’employeur. Le salarié avait formé un pourvoi en cassation pour contester cette décision.
La Cour de cassation a censuré la décision des juges. Elle retient que « la perte du droit à l’indemnité de non-concurrence ne vaut que pour l’avenir et qu’à compter du jour où la violation de l’obligation de non-concurrence a été constatée ».
Ainsi, en cas de violation de la clause de non-concurrence, l’employeur n’a plus à verser l’indemnité due au salarié pour l’avenir. L’indemnité n’est plus due dès lors que le salarié ne respecte plus son obligation de non-concurrence. Mais, l’employeur ne peut pas réclamer les sommes réglées pendant la période où la clause de non-concurrence était respectée.
Consulter l’arrêt de la Cour de cassation du 18 décembre 2024 : https://www.courdecassation.fr/decision/67626dd5d9347f6c9aef80c4?search_api_fulltext=23-19.381&op=Rechercher&date_du=&date_au=&judilibre_juridiction=all&previousdecisionpage=&previousdecisionindex=&nextdecisionpage=&nextdecisionindex=
CDD successifs : le non-respect du délai de carence entraine la requalification en CDI
Requalification de CDD en CDI en cas de non respect du délai de carence.
Un employeur ne peut recourir à un contrat de travail à durée déterminée (CDD) que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire et dans des cas limitativement prévus par la loi (Article L.1242-2 du Code du travail.) :
- le remplacement d’un salarié absent ou dont le contrat de travail est suspendu ;
- l’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise ;
- les emplois à caractère saisonnier ou les emplois temporaires par nature ;
- etc.
En outre, quel que soit son motif, le CDD (ou le contrat de mission) ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.
Le CDD est un contrat de travail obligatoirement écrit et doit contenir certaines mentions obligatoires. Il doit notamment comporter la durée du contrat, la date d’échéance du terme du contrat et, le cas échéant, une clause de renouvellement. S’il s’agit d’un CDD de remplacement à terme imprécis, il doit comporter une durée minimale de travail, etc.
Par ailleurs, l’employeur peut conclure avec le même salarié un nouveau CDD ou un contrat de mission sur le même poste sous certaines conditions.
Pour cela, en cas de CDD ou contrats de mission successifs, l’employeur doit respecter un « délai de carence » dont la durée dépend de la durée du contrat de travail, renouvellement inclus.
Sauf dispositions conventionnelles contraires, la durée de carence à respecter est égale (Article L.1244-3-1 du Code du travail.) :
- à la moitié de la durée du contrat si le CDD est d’une durée inférieure à 14 jours, renouvellement inclus ;
- au tiers de la durée du contrat si le CDD est d’une durée d’au moins 14 jours, renouvellement inclus.
La durée du délai de carence se décompte en jours d’ouverture de l’entreprise ou de l’établissement concerné, alors que la durée du CDD s’apprécie en jours calendaires.
Toutefois, la succession ininterrompue de CDD sur le même poste de travail avec le même salarié est autorisée dans des circonstances limitativement prévues. En effet, aucun délai de carence n’est exigé, par exemple, en cas de CDD successifs pour le remplacement d’un salarié absent ou dont le contrat est suspendu, pour l’exécution de travaux urgents nécessités par des mesures de sécurité, etc.
En dehors des cas légalement prévus, l’employeur doit respecter le délai de carence. A défaut, le CDD peut être requalifié en CDI avec les indemnités et le rappel de salaires afférents.
C’est ce qu’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt en date du 15 janvier 2025 pour des contrats de missions successifs.
En l’espèce, un salarié avait conclu des contrats de missions successifs, suivi d’un CDD avec la même société pour accroissement temporaire d’activité. Il avait agi en justice pour demander la requalification de ces contrats de missions et CDD en CDI avec paiement des indemnités afférentes. Il reprochait à la société d’avoir eu recours à plusieurs contrats de missions et CDD pour le même motif sans avoir respecté de délai de carence. Les juges avaient rejeté ses demandes en retenant notamment que le non-respect des délais de carence ne constituait pas une cause de requalification des contrats de missions en CDI. Le salarié avait formé un pourvoi en cassation pour contester cette décision.
La Cour de cassation a censuré la décision des juges en rappelant les règles applicables pour les contrats de mission en matière de respect du délai de carence (comme celles prévues pour les CDD).
Elle relève que les contrats de missions établis mentionnaient le motif d’un accroissement temporaire d’activité. Ce motif ne fait pas partie des cas permettant de s’affranchir des délais de carence. Dès lors, le respect du délai de carence prévu s’imposait à la société. Le non-respect du délai de carence a entrainé la requalification des contrats en CDI.
Consulter l’arrêt de la Cour de cassation du 15 janvier 2025 : https://www.courdecassation.fr/decision/678787c4012a55caa6d16715?search_api_fulltext=23-20.168&op=Rechercher&date_du=&date_au=&judilibre_juridiction=all&previousdecisionpage=&previousdecisionindex=&nextdecisionpage=&nextdecisionindex=
Requalification de la démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse en cas de manquements de l’employeur
La démission désigne l’acte par lequel un salarié, en contrat de travail à durée indéterminée (CDI), fait connaître à son employeur sa décision de mettre fin à son contrat de travail.
La démission désigne l’acte par lequel un salarié, en contrat de travail à durée indéterminée (CDI), fait connaître à son employeur sa décision de mettre fin à son contrat de travail.
Sauf dispositions conventionnelles ou contractuelles contraires, aucune procédure légale n’est imposée pour signifier une démission. Le salarié peut prévenir l’employeur oralement ou par écrit en lui adressant une lettre de démission, sans être tenu de motiver sa décision.
Toutefois, pour être valable, la démission doit en principe résulter d’une volonté claire et non équivoque du salarié de mettre fin à son contrat de travail. Elle ne saurait en conséquence résulter de dispositions d’un contrat de travail, d’une convention collective ou encore du seul comportement du salarié. Elle ne se présume pas, sauf exception dans le cadre de la procédure légale de présomption d’abandon volontaire de poste de travail. Dans ce cas, l’employeur doit respecter la procédure légale avant de prendre acte de la présomption de démission pour abandon volontaire du poste de travail malgré la mise en demeure envoyée au salarié. Consulter les précédentes lettres juridiques de la FESP pour connaitre les détails de cette procédure.
Un démission notifiée dans les formes à l’employeur peut, dans certains cas, être remise en cause ultérieurement par le salarié s’il prouve le caractère équivoque de sa volonté de rompre le contrat.
Pour apprécier le caractère équivoque d’une telle rupture, les juges prennent en compte les circonstances entourant la démission, notamment si le salarié adresse sa démission en reprochant à l’employeur des manquements.
Par ailleurs, le salarié peut prendre acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l’employeur pour les manquements qu’il lui reproche.
La « prise d’acte » de la rupture du contrat de travail est une forme de rupture du contrat de travail à l’initiative du salarié en raison de faits ou manquements suffisamment graves qu’il reproche à son employeur.
La prise d’acte entraîne la cessation immédiate du contrat de travail. En effet, le salarié n’est pas tenu d’effectuer un préavis.
Si le salarié saisit la juridiction prud’homale pour tenter d’obtenir réparation des reproches à l’origine de la prise d’acte, les juges peuvent estimer que :
- la prise d’acte est justifiée en raison des manquements graves de l’employeur. Celle-ci produit alors les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et l’employeur peut être condamné à verser au salarié les indemnités afférentes ;
- les faits reprochés à l’employeur ne justifient pas la prise d’acte. Dans ce cas, elle produit alors les effets d’une démission pour le salarié.
Aucun formalisme n’est exigé pour la prise d’acte de la rupture du contrat de travail. Cependant, le salarié doit prévenir l’employeur par écrit en précisant les manquements qu’il lui reproche et qui justifient la prise d’acte.
Ainsi, lorsque le salarié reproche à l’employeur des manquements graves rendant impossible la poursuite du contrat de travail, il peut prendre acte de la rupture de son contrat de travail.
La prise d’acte peut être reconnu en cas de discrimination ou harcèlement commis par l’employeur, de non-paiement de tout ou partie du salaire, de non-respect de l’obligation de sécurité, etc.
Dans un arrêt en date du 15 janvier 2025, la Cour de cassation a rappelé ces règles en invitant les juges à vérifier si le manquement tiré du défaut de paiement des heures supplémentaires était de nature à empêcher la poursuite de la relation de travail et justifier la prise d’acte.
En l’espèce, un salarié avait démissionné et saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes liées à l’exécution et la rupture de son contrat de travail. Il demandait notamment la requalification de sa démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le salarié avait adressé un courrier à l’employeur lui indiquant qu’il se trouvait dans l’obligation de démissionner en lui reprochant certains manquements tels que le versement du salaire en plusieurs fois, le non-paiement des heures supplémentaires, le non-versement d’une prime versée à d’autres salariés, l’absence d’entretien annuel, une classification inexacte, etc.
Les juges du fond avaient fait droit aux demandes liées au paiement des heures supplémentaires.
Toutefois, ils avaient rejeté la demande de requalification de la démission en licenciement abusif en retenant que celle-ci était claire et sans équivoque. Ils avaient retenu que la discrimination et la classification inexacte n’étaient pas établies, qu’aucun préjudice ne résultait de l’absence d’entretien annuel, que le manquement lié aux salaires ou le non-paiement des heures supplémentaires n’a pas rendu impossible la poursuite du contrat de travail, etc. Le salarié avait formé un pourvoi en cassation pour contester cette décision.
La Cour de cassation a censuré la décision des juges. Elle rappelle que « la démission ne peut résulter que d’une manifestation claire et non équivoque de volonté du salarié de rompre le contrat de travail ».
Elle reproche aux juges, qui avaient fait droit à la demande au titre des heures supplémentaires, de n’avoir pas recherché si le manquement tiré du défaut de paiement des heures supplémentaires était de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail.
Consulter l’arrêt de la Cour de cassation du 15 janvier 2025 : https://www.courdecassation.fr/decision/67878751012a55caa6d16685?search_api_fulltext=23-16.286%20&op=Rechercher&date_du=&date_au=&judilibre_juridiction=all&previousdecisionpage=&previousdecisionindex=&nextdecisionpage=0&nextdecisionindex=1